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blouses-rouges
15 juin 2009

japonmusashi@hotmail.fr

Incomprise

« Ne plus avoir les encouragements de sa mère, c’est comme si le monde s’effondre, plus rien n’a d’importance, la lueur dans nos yeux s’éteint. »

Certains scientifiques ont étudié notre cerveau, persuadés que tout se dégrade sauf nos émotions, l’amour, la joie, le réconfort reste gravé.

Si personne ne  le croit  alors pourquoi les personnes séniles ont besoin de crier  « maman » ?

Les soignants se plaignent tout le temps d’avoir des familles trop exigeantes pour leurs parents sans comprendre pourquoi leur travail est bâclé. Il est évident que le personnel et la patience manquent, le relationnel n’est pas une priorité encore moins devant autant de souffrances. Il faut donc renouer un lien entre les équipes et les familles qui ne se comprennent plus. On m’a souvent parlé d’ingratitude des enfants, devenu adultes ne s’occupant jamais de leurs géniteurs. Je réponds toujours il faut avoir vécu avec les gens pour les aimer ou non. Nous avons peu d’éléments sur la vie d’une personne a-t-elle été une bonne mère ou un bon père ? Ne pas essayer de juger et comprendre l’histoire de l’autre nous permet de mieux avancer.

Le corps squelettique d’une vielle dame, les yeux fermés, la bouche à peine ouverte laissait passer un son léger lors des soins. Je regardais parfois les soignants lui remettre son oreiller, la changer de position sans communication comme un meuble que l’on déplace, un objet sans nom parmi tant d’autre. Comment discuter avec quelqu’un qui bouge, mange reste au lit sans jamais ouvrir les yeux, sans jamais vous répondre ni même attendre ou espérer. Elle donnait cette impression de plante en terre que l’on croit sans vie dans un champ parmi tant d’autre. Les soignants m’avaient prévenu comme toujours «  tu verras la fille est complètement folle ». Cette femme la soixantaine environ aimait discuter avec moi, très douce le regard rempli de larmes quand elle quittait sa mère, me laissait un avant gout de ma relation très soudée avec la mienne. Nous aimons tous notre maman mais elle plus encore comme si la vieillesse ou la mort était impossible. La femme la protégeait insistant auprès des soignants pour la remettre correctement, les appelant pour rien, s’inquiétant sans cesse de son état de santé. Un détail, un éternuement brisait l’état stable, végétatif, insupportable de cette petite mort latente. Elle appréhendait, se plaignait du non confort, du non respect, allant du fauteuil mal vissé au verre non rempli.

Il n’est pas rare de voir des familles afficher des mots sur les placards, dans la salle de bain, fléchant ainsi le parcours du soignant, rien ne doit être oublié dans la notice. Tout allait mieux quand le temps s’arrêtait enfin, une promenade dans le parc, la possibilité de lui faire prendre un gouter. La fille au chevet de sa maman s’écroulait, les larmes dégoulinaient sur ses yeux bleu rougis. J’essayais du haut de mes dix huit ans de rassurer, maigre consolation qui me valait des confidences. L’animateur avait le temps de parler, de rendre visite, d’accomplir un petit geste une fois interpellé dans le couloir. Elle retrouvait du confort auprès des autres familles qui formaient un petit groupe lors des spectacles ou des activités, les résidents les connaissaient, tout le monde se voyait mais aucun sujet tabou, aucune souffrance ne se dévoilait.

Cette dame avait un mari qui l’attendait le soir me dit elle, des enfants aussi l’appelaient et pourtant un grand vide, une tristesse infini ternissait son regard comme enfermé dans un avenir sombre, une impasse  ou un désert où il n’y a ni maison, ni soutien seulement les quelques restes d’un passé plein de souvenirs joyeux. Elle dépendait de cette femme allongée croyant reconnaitre un signe, un geste, un remerciement. Cet enfermement, ce mutisme l’empêchait de savoir où était déjà partie la mère qui l’avait mise au monde. Elle s’inventait un monde. Tous les après midi l’affectaient de plus en plus. Mes visites étaient pour cette personne seul une aubaine, un réconfort et elle les attendait. Peut être avait elle tenté de rejeter la faute sur le travail mal fait des aides soignants  pour trouver une raison, un alibi devant la question pourquoi devons nous souffrir et mourir ? Les critiques sont importantes pour les familles tout comme pour les soignants dans leur travail car l’insatisfaction de l’inévitable, l’émotion, le gout amer de l’injustice nous donnent des ailes pour combattre et mener une guerre contre un système. Les familles se rebelleront contre les blouses blanches et les blouses blanches contre l’institution économique.

Ce regard tourné en arrière plutôt qu’en avant, elle aurait voulu casser cette ligne du temps qui s’écoule par des gestes, un appel au secours. Je le compris bien des années plus tard. Un après midi comme les autres elle essayait de déchiffrer chaque clignement d’œil, chaque mouvement, le traduisant par une émotion. Elle tenta de me convaincre que sa mère la reconnaissait, la voix de sa fille était tout aussi importante que celle de dieu, je voyais seulement une femme remuant de temps en temps dans son lit et une autre récitant un monologue. Elle se dirigea vers son sac à main et me tendit un livre sur la maltraitance en institution. Ce message comme si elle attendait de moi implicitement de mener une barque, de défendre ses intérêts et ceux des autres. Malheureusement, je fus pour la première fois honteux, le livre qu’elle m’avait prêté était détruit par l’eau, je l’avais accidentellement laissé dehors et la pluie avait fait le reste.  Est-ce un signe comment pouvons nous l’imaginer sans y mettre une goutte de fantastique, il était évident que je devais réparer mon erreur, m’excuser et prier pour ne pas perdre la confiance installée.

La tension montait à chaque pas, je lui annonçais m’attendant à la pis des réflexions mais rien de tel ne se produisit avec un grand sourire, elle me rassura, ne me demanda aucun dommage et m’en fis cadeau. Pourquoi ? Son regard était déjà ailleurs dans le vague.

La résidente mourut laissant derrière elle un traumatisme, une perte vidant sa fille de tout espoir. Je ne la revis jamais sans me souvenir d’avoir dit au revoir aux deux personnes qui comblaient cette chambre tous les après midi.

Je suis allé un soir chez plusieurs amis aides soignants pour me détendre, boire un verre, parler boulot, se vider un peu de toutes les situations qui nous gênent car personne ne nous écoute sauf celui qui vit avec vous la même chose. Les collègues sont un soutien important pour un homme même si les tensions, les divisions nous isolent de plus en plus.

Au fil de la conversation l’une des personne autour de moi me dit «  Anamnesis t’es au courant de la dernière, dans le journal c’est même écrit, ça a fait un tapage dans mon immeuble ma voisine s’est défénestrée. On la connaissait tous, c’était la fille un peu bizarre à la maison de retraite. »

J’avais compris ces mots, la douleur, la perte l’avait amené au pis déjà résolu sans doute, le désespoir l’avait laissé s’approcher du vide. Elle avait ouvert sa fenêtre laissant derrière elle tout, le vide ne lui faisait plus peur, le néant interminable continuerait sa course, retrouvant peut être sa mère pour l’éternité ou la paix invisible tant espérée, plus rien ne se briserait dans sa vie. Elle retrouverait sa tranquillité, il n’y aura plus de changement, plus d’avenir incertain, plus de douleurs, seul son corps tombera comme les anciennes larmes sur ses joues, entre deux immeubles, un corps sans vie et un esprit envolé.

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blouses-rouges
  • Anamnésis est né quelque part dans les années quatre-vingt. De un à cinq ans, il joue à cache cache avec la mort dans les hôpitaux et heureusement pour nous il en réchappe. De cette entrée dans la vie douloureuse nait le désir d’aider autrui, de restituer
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