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blouses-rouges
18 juin 2009

japonmusashi@hotmail.fr

Trésor humain

Je fis mon  stage de quelques jours en stérilisation  avec une équipe agréable, douce, patiente, enfermée toute la journée  dans un endroit restreint avec pour seul lumière du jour celle des néons. Une précision et un travail d’orfèvre, des règles strictes pour ne pas faire d’erreur ? On m’expliqua le fonctionnement des machines, les protocoles d’hygiène, les taches à effectuer et enfin on m’emmena dans les services faire de la distribution.  Un frisson me parcouru le corps, les étages plus haut était mal rangés, la tension perceptible, pas de regard, pas de sourire, une ambiance macabre et peu accueillante. Nous nous attardâmes pas pour rapidement retrouver notre repaire au sous sol.

On s’habitue vite à cet endroit agora phobique où l’étranger même invisible est interdit bloqué par des portes presque blindée et un lavage perpétuel de l’environnement.  Les filles tenaient une comptabilité minutieuse, sans faille pour régaler les cigales d’en haut gourmandes en matériels.

L’équipe décida de me laisser aller avec la plus ancienne  au bloc pour nettoyer  les instruments tout droit sorti d’une salle d’opération, il y avait un mélange de sang,  de chair humaine dans les bacs à décontaminer. Les instruments seront murement désinfectés avant de resservir. J’étais un peu écœuré de voir des morceaux sur les lames, difficiles à décoller, gluants comme un poulpe encore frais.  Je devais nettoyer, déplacer les instruments venant de servir en faisant attention de ne pas me blesser.

J’avais sous les yeux les quelques fibres d’un autre homme ou peut être une femme ? Serais-je capable de tenir dans cette salle ?

Le cœur bat la chamade, la vue se rétrécit pour se focaliser sur ce qu’il y a à faire, il ne faut   pas se déconcentrer et penser à ne pas gêner, ne pas faire une erreur dans cet endroit rigoureux.

Les fausses  images ancrées dans la tête de corps mutilé ruisselant de sang, d’une salle obscure avec de petits hommes habillés en verts, m’empêchent d’avaler ma salive. Une autre planète qui me donne le mal du pays. Tout d’abord les soignants rassurent la patiente avant d’entrer au bloc.

Tout doit être stérile, mes mains, mon corps, ma tête sont protégés le plus possible car seul la patiente doit être nue recouverte par un champ opératoire*(grand draps de couleur). Je ne suis pas rassuré pourquoi ? Sans doute par ce que je vais voir ce que l’on peut faire de plus horrible vous disséquer pour vous guérir. La patiente s’est endormie quand ils lui mirent le masque, elle doit voir des papillons puis le néant.

Le personnel m’a aidé  à m’habiller, à me laver les mains,  me demandant : « ca va ! » à chaque seconde, comment pourrais je le savoir ? Je vais dépasser pour la première fois  mes limites, affronter ma peur enfantine en face, regarder un autre humain, une mise en abyme. Je dois lutter pour ne pas montrer mes doutes, mes craintes, mon dégout, ma peur de subitement tourner de l’œil ou vomir. Mon médecin traitant m’a dit : « tu tomberas au moins une fois dans les vapes ». Est-ce pour aujourd’hui ? Vais-je y arriver ? Soutenir mon regard ou m’effondrer devant ce  spectacle ? Je ne peux pas aider, un peu timide, je n’ose pas bouger de peur de faire une connerie devant ces grand hommes qui ont l’air si sur d’eux.  Un objet par terre, un éternuement et c’est foutu, je ne dois pas trop me montrer. Un infirmier spécialisé dans la distribution des pansements, le comptage des compresses appelé IBOD*(infirmier spécialisé, il compte les compresses donne le matériel et possède une multitude de responsabilités) s’avance vers moi.

Il me dirige vers une estrade comme un roi. Je suis très haut par rapport aux autres  à peine à un mètre de la personne sur la table métallique. Je survole tout le monde, l’anesthésiste, le chirurgien, les apprentis, les aides soignants etc.… 

Mes sens sont réduit par la charlotte, le masque et toute la combinaison  me serre la taille, m’étouffent un peu. J’entends à peine les mots des soignants : « tout va bien ?».

Des chaines avec des plaques métalliques en équerre sont installées, une vraie torture moderne, le corps est inerte, le chirurgien arrive. L’opération commence,  la lumière se reflète parfaitement sur la peau un peu jaune de divers désinfectants appliqués. Le chirurgien trace  sa ligne sur le corps, il a déjà  pratiquement traversé du sternum  au bas du ventre. Soudain, le trait harmonieux du dessinateur sur chair s’arrête. L’anesthésiste est focalisé sur ses appareils, le silence est de rigueur, quelques mots sont échangés avec un vocabulaire compliqué que je ne comprends pas. Le bip incessant des appareils tel des sonars dans une pièce bleu confinée,  me plonge dans une atmosphère silencieuse, un songe éveillé. Vais-je voir une horreur ou un trésor humain ?

On me demande encore une fois : « est ce que ca va »  je réponds par un hochement de tête tellement admiratif. Ils prirent l’objet de torture sous mes yeux, plusieurs chaines reliées, solidement cadenacées, avec tout au bout les plaques métallique en L. Ils enfoncèrent de chaque coté de la plaie ouverte et écartèrent.

Une fleur dans un océan, un spectacle indescriptible s’ouvrit sous mes yeux, je voyais pour la première fois l’intérieur de quelqu’un Comment être plus intime ? La beauté de ce qui nous compose me laissa sans voix, les intestins flottaient à quelques pas sous mes yeux. J’ai à peine entendu ce que l’on me dit répondant sans doute : «  c’est magnifique » tellement captivé par l’opération. Je voulais voir le plus possible, j’aurais même voulu  toucher,  sentir juste une fois entre mes mains  la texture d’un organe, est ce lisse ? Rugueux ? Ferme ?

La lumière, les couleurs se reflétaient sur le corps, étincelant comme un miracle. La dextérité et le professionnalisme de l’équipe me subjuguèrent, je n’aurais voulu pour rien au monde les gêner, j’étais si fièr d’un seul coup d’être rentré dans ce monde. Si l’on m’avait demandé de l’aide j’aurais accouru mais à  mon niveau, je ne pouvais qu’être spectateur et non sous les projecteurs de cette scène inoubliable. Une représentation de ce qu’il y a de plus réel de la vie et de la mort.

Le chef écarta avec les doigts les entrailles de la patiente, analysant par un simple  toucher ce qui n’allait pas sur les organes. On ne reconnait pas l’homme protégé dans son armure de gants, de tabliers, le visage recouvert d’un masque et d’une charlotte. Il guerroie avec toutes les armes disponibles que lui passent l’interne ou l’infirmière assistante. Ces hommes ressemblaient à des scaphandriers à la recherche du mal qui ronge, détruit ou pourrit le corps. Ils trifouillaient avec un autre chirurgien heureux que son collègue lui demande son avis. Le chirurgien qui venait d’entrer mis la main à la patte avec le bras entier plongé dans le ventre flasque, dégoulinant, s’échappant d’entre ses doigts. Ils diagnostiquèrent un cancer généralisé sans le dire ouvertement, tous les organes avaient un défaut.

Ils savaient exactement l’emplacement de chaque organe malgré la couche épaisse de gants, de graisse, de sang recouvrant leurs doigts. Ils remontèrent un peu plus à la surface  les intestins puis  nettoyèrent le colon avec un fer à soudé, brulant toutes les petites anomalies cancéreuses. Je lisais dans les yeux l’impuissance, résigné à faire un travail sur une patiente atteinte gravement. L’IBOD  me surveillait tout en  comptant, en alignant  tout le matériel sur le sol stérile, plus propre que chez n’importe qui.

En fin d’opération les internes recousirent dans une odeur légère de grillé, puis je les aidais à déplacer le corps encore inanimé sur un brancard pour l’emmener en salle de réveil.

Je suivis l’équipe, je recommençais le trajet inverse, me lava les mains pour rentrer chez moi avec les souvenirs d’un trésor inoubliable.

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  • Anamnésis est né quelque part dans les années quatre-vingt. De un à cinq ans, il joue à cache cache avec la mort dans les hôpitaux et heureusement pour nous il en réchappe. De cette entrée dans la vie douloureuse nait le désir d’aider autrui, de restituer
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