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blouses-rouges
19 juin 2009

japonmusashi@hotmail.fr

Toilette mortuaire

Un homme s’accroche encore à la vie,  prisonnier de deux mondes. On tente de le délivrer, de lui murmurer à l’oreille qu’il peut s’en aller et partir en lui tenant la main.

Le teint est pale, un poisson sorti hors de l’eau, la personne cherche sa respiration comme oppressée. La bouche est grande ouverte, une substance coule de la bouche, mélange de bave et de sécrétions pour les plus encombrés.

Ma collègue reste avec le patient dans la nuit, avec pour seule lumière celle du couloir. Je la laisse un instant pour allumer la table situé dans une chambre froide juste à coté du self du personnel. Les bâtiments sont mal conçus, je dois sortir, il fait froid dehors, je regarde le ciel puis je rejoins le bureau pour remplir les papiers et le bracelet qui marque le patient, dernier signe d’une vie envolée.

La mort n’est pas comme dans les films, il y a moins de couleurs moins de discours. Les corps ou futur cadavres se ressemblent tous. Les yeux et la bouche ouverts, la couleur jaune  commence à apparaitre. On ne parle pas, on ne rit pas sauf dans un moment d’égarement ou de pur stress. Le silence vous fait froid dans le dos, les corps sont maigres, les os apparaissent, un frisson  nous parcourt seul signe de vie, eux ils n’en n’ont plus.

Les courants d’air refroidissent la peau, la chaleur n’existe déjà plus. Ma collègue ne voulait pas être seule, comment assister la mort ? Il n’y a rien à faire, rester là et attendre comme un être humain qui en aide un autre.

Chaque geste est précis, on tourne la personne délicatement pour éviter  le balancement brusque des membres. Le poids est plus important  pourtant le corps est vide comme une poupée de chiffons que l’on manipule. On lave le visage puis le torse, les jambes pour terminer par les parties génitales. Du plus propre au plus sale. La douceur est essentielle sauf si vous êtes avec un collègue braque qui ne respecte rien. On se sent gêné quand on ne respecte pas le rituel.

On habille la personne avec les meilleurs vêtements choisis par la famille, on ouvre la fenêtre pour refroidir la pièce. Les bras sont placés sur le drap qui couvre la moitié du corps. Un linge est posé entre le menton et le torse pour fermer la bouche, les bandes autour du visage ne  sont plus autorisées pour ne pas choquer.  Il passera une dernière fois dans le couloir un drap blanc le recouvrant lorsque le médecin aura fait son diagnostic lors de ses visites, surtout pas la nuit pour ne pas  le réveiller, il pâlirait de peur ou serait de mauvaise humeur le matin.

Entre deux rives :

Une grand-mère décéda à 6H15, son agonie fut lente. Nous restâmes avec elle pendant ¾ d’heures son pouls était faible presque imperceptible et son corps encore chaud.

Ils ont tous les mêmes visages, les mêmes expressions, se sont les mêmes corps malades dans le néant. Le regard vague, la bouche ouverte, le teint pale presque jauni comme une fleur qui se fane, elle voyait déjà l’autre rive.

Son corps la retenait avec nous, malgré les quelques paroles que j’avais «  vous pouvez partir madame soyez en paix ».

Je lui tenais la main tout en continuant de discuter avec ma collègue. Une conversation silencieuse, interrompue ayant peur de déranger celle qui sommeillait dans un coma. Que voyait-elle ? Comment savoir si elle nous avait quittés ? Je pris le stéthoscope ma collègue chercha des vêtements, je n’entendais plus rien, je pris son poignet ne sachant pas si mon propre pouls résonnait dans ce corps vide. Les jambes bleues et une position sans vie, je constatais la mort sans être médecin. 

L’infirmière arriva ne sachant pas si elle devait ou non le déranger. C’est toujours la même chose même si j’avais le sentiment d’avoir été troublé dans une situation inhabituelle, j’avais commis des erreurs, des fautes de rituel. Je me reproche sans cesse de ne pas avoir fait au mieux pour honorer une dernière fois, sans respect car il n’y a plus de différence à ce moment là entre une poupée de chiffons et un corps vide. On se bat dans un silence pour laver, habiller, fermer les paupières et dire une dernière fois « au revoir ».

Je rentre chez moi, l’eau de la douche coule avec les images , j’espère qu’elle a rejoint le fleuve des innombrables âmes dans un paradis éternel, beau et lumineux.

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Commentaires
G
Je me promenais et j'ai été happée par votre texte, c'est beau et froid, bien écrit.<br /> J espère aussi qu il y a un éternel après la vie, quelque chose enfin de reposant pour toute une vie de labeur...<br /> <br /> Peut être à jamais...
blouses-rouges
  • Anamnésis est né quelque part dans les années quatre-vingt. De un à cinq ans, il joue à cache cache avec la mort dans les hôpitaux et heureusement pour nous il en réchappe. De cette entrée dans la vie douloureuse nait le désir d’aider autrui, de restituer
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